Distraite, la bien nommée
Je ne poste plus vraiment ; j'ai pourtant énormément d'articles en tête, mais pas le temps ni la motivation de les taper.
J'ai fait des remplacements "longs", une semaine ou plus ; et réguliers. pas de nouveautés.
J'ai eu dix jours de liberté sur une ferme que je connais depuis longtemps, début juillet. Je voulais en parler, et puis.... ça viendra sûrement !
On se relaye chez le Grand Manitou, qui a été opéré. Il a embauché deux autres vachers pour cet été, une fille et un garçon, une vingtaine d'années (BobineLover et moi même avons 25 ans cette année, je les ai passés douloureusement). Ils ne sont pas super expérimentés, donc on veille un peu au grain, derrière...
Et là, depuis jeudi jusqu'à ce soir, je suis chez Monsieur et Madame Réglisse.
J'ai fait plusieurs remplacements chez eux : le premier, ce n'était pas encore mon secteur, en mars 2010. Le patron était tombé en arrière et s'était ouvert le crâne : 13 points de suture. Ca sera aussi sujet à article...
Le second, il a débuté par THE semaine de merde crasse en septembre 2010, pour un congé maternité. On a eu, dès mon premier jour une vache (une bonne en plus, Trompette) morte de fièvre de lait, et il m'est arrivé toutes les merdes possibles pendant les presque six mois passés là bas.
Et me revoici.
Ils sont partis pour le week-end à l'autre bout de la France, me laissant un troupeau de 34 vaches "décimé" : beaucoup de staph dans le lait, donc beaucoup de "vieilles" vaches envoyées à la casse.
Mais du coup je les connais toutes : les plus vieilles comme les plus jeunes, j'ai eu à faire avec. Que ce soit les faire naître, ou les soigner...
J'ai reconnu avec plaisir Déesse, très moche, pas bien maligne, mais une jolie tétine ; retrouvé ma Bagatelle, Cabriole, Cacahuète, Cajoline... que j'avais vêlées et traites pour leurs premiers veaux.
Et retrouvé ma très chère et douce.... Distraite.
J'ai rarement rencontré une bête qui mérite aussi bien son nom.
Elle m'a offert mes plus gros fous-rires en salle de traite l'année dernière : premier veau, premières traites....
Il y a une marche à l'entrée des quais, pas très haute : une quinzaine de centimètres maximum.
SYSTEMATIQUEMENT, elle l'oubliait.
Bilan, quand elle était la première à entrer sur le quai (ce plaisir, une génisse qui n'a pas peur d'entrer en premier ! ) elle ne levait pas les pieds, trébuchait, se rattrapait de justesse, glissait.... et faisait la longueur du quai (cinq vaches en épi, donc assez long) sur le ventre, pour s'écraser contre la barrière de sortie !
En cours de traite, j'ai plusieurs manipulations à faire : tremper les trayons dans le gobelet de mousse nettoyante, les essuyer avec un papier, tirer les premiers jets, brancher la griffe, et à la fin, palper la mamelle pour vérifier qu'elle est bien traite, tremper les trayons avec le désinfectant, et voilà.
Je devais toujours hurler avant de la toucher, en général je braillais "DISTRAIIIIIITE !!!! JE TE TOUUUUCHE !!!" avant de caresser le haut de la cuisse, et descendre en caresse jusqu'à la tétine.
Tellement dans la lune, cette petite, qu'entre chaque trayon elle oubliait.
Et sursautait. Mais vraiment ! un petit bond ! sans taper ni rien hein... juste sursauter.
Je perdais pas mal de temps, mais je rigolais bien.
En fin de traite, quand tout le monde est fini, j'ouvre la porte. Qu'elle soit en première place n'y changeait rien. Elle rêvait, je devais l'appeler, la toucher... elle sursautait, tournait la tête, me regardait : "hein ? quoi ? tu m'as parlé ? "
Je lui expliquais qu'elle devait sortir, en lui tapotant la cuisse... elle regardait la sortie, sursautait, et partait au trot.
Quand elle était en milieu ou fin de quai, que toutes les autres étaient sorties, c'était le même cinéma. A la différence près que la distance à parcourir est plus étendue. Là, c'était plus rigolo encore : elle sursautait, pédalait dans le vide pour partir en courant (mais ça glisse), se rétamait, glissait jusqu'au bout du quai, parfois sur l'aire de sortie, se bouffait le mur, se relevait, et repartait au trot.
Sans oublier de se casser la gueule en passant sur le caillebotis : y'a encore une marche....
J'ai donc retrouvé ma belle Distraite. Elle tombe moins souvent en entrant ou sortant de la sdt, mais reste calée au milieu du quai quand toutes les autres sont sorties, et me regarde d'un air interrogatif quand je la rappelle à l'ordre. Elle court moins en sortant aussi.
Ce week-end, j'ai encore eu mon lot de crises de rire.
Jeudi soir, c'est leur dernier jour dans le parc, après je les change.
Chaque fois que je les bouge, je les compte, évidemment. Et je la garde particulièrement à l'oeil, cette tête de linotte. En général elle est à la traine et oublie l'entrée, donc se retrouve face au fil, et mugit d'un ton de reproche : "tu m'as laissée à part !!!" Faut que je lui montre la porte...
Vendredi matin, je les sors, par l'autre porte de l'écurie.
Je me mets devant la barrière, je crie, j'appelle, je siffle, j'envoie mon chien les rassembler de ce côté du bâtiment. Ca dure au moins dix minutes ce merdier, à faire un boucan monstre, entre les aboiements et moi... Tout le monde a l'air au courant, j'ouvre la porte, leur indique le parc... Faut marcher sur la nationale une cinquantaine de mètres, monter la petite route, entrer dans le parc dans le virage. Elles y sont déjà passées donc elles connaissent la route.
Mon chien m'aide bien, sereine je retourne au bâtiment... J'avais oublié les habitudes de ma favorite.
En approchant du bâtiment j'entends des coups sourds qui ressemblent fort à une vache qui tape dans le DAC pour faire tomber des croquettes.... J'entre.... et je m'exclame "Mais qu'est-ce que tu fais là toi ?!"
La vache sursaute, se casse la gueule en sortant en catastrophe du DAC, et s'approche au trot, oreilles dressées, ses grands yeux interrogatifs, en mugissant sourdement : "mais où elles sont les autres ?!".
Elle a fait tout le tour du bâtiment au trot pendant que je réfléchissais à la manière de la passer avec les autres...
Elle a été facile à bouger, peut-être parce qu'on se connaît bien maintenant, et qu'on est aussi tête en l'air l'une que l'autre. Elle a un tempérament calme, pas flippée, posée.
Ce matin, au moment de les rentrer pour la traite, je me mets au milieu de la route, en les comptant, pendant qu'elles rentrent. Je ne les compte pas "à la porte", mais quand elles passent devant moi... Y'a vait deux trois voitures de chaque côté, je surveillais un peu de tous les côtés, et ce que faisaient les chiens aussi... Bilan, ma Distraite a loupé la porte, quand j'ai réagi elle était presque à l'opposé du bâtiment ! Je l'ai appelée, suis partie en courant le long de la route pour la doubler. Elle s'est arrêtée, en me regardant d'un air interrogatif. Je lui ai expliqué que la porte est de l'autre côté... elle a tourné la tête, regardé autour d'elle, s'est rendue compte que les autres étaient loin.... et est repartie les rejoindre au trot.
Tous les jours elle me fait un coup du style, elle a toujours l'air étonnée d'être là où elle se trouve.
J'ai une grande affection pour cette jeune vache, les interactions sont toujours fluides, simples.
C'est un troupeau que j'aime beaucoup, chaque vache est "une vache", une entité, une personnalité indépendante. Chacune a son caractère, son tempérament, et dans l'ensemble ça se passe bien entre nous.
En même temps, on se connait très bien.
Mais quand même, cette Distraite... On se ressemble beaucoup, c'est peut-être pour ça qu'on s'entend si bien !