Bande de tiques !
Je ne vais jamais arriver à la cheville d'Erzébeth pour ce qui est des journées de merde, mais j'ai eu quand même une sacrée journée à la con.
Ce matin, ça allait. Mis à part qu'on s'est retrouvés un peu bousculés (changement de fabrication, du reblochon on est passés à la tomme, c'est toujours un peu la bousculade), mais que j'ai quand même fini en avance, ça s'est lentement dégradé.
Arrivée à la maison, le Normand dormait encore, j'avais pas pris mon antibio du matin, et malheureusement faut que je mange en même temps ; je me recouche donc (sommeil agité ces derniers temps), toute habillée, en me disant que je me lèverai en même temps que lui.
J'ai sombré rapidement, rêves à la con et vaseux, dont je suis un peu sortie quand le Viking s'est levé. Pas suffisamment pour me lever.
Replongée dans ces rêves bizarres, dont un où ma très belle meilleure amie et moi fomentions une grosse plaisanterie. Je rigolais toute seule.
Finalement il me réveille, pour que je le dépose au boulot, il a trouvé de l'intérim.
Il est 11h30, je repars à 15h, ça fait tout ça sans lui... j'aime pas...
J'en chie pour me faire cuire du riz (putains de plaques, trois quarts d'heure pour une demie casserole d'eau, infernal ! ), puis finalement je repars.
J'ai mal partout, toute courbaturée, au ralenti, j'ai froid, très froid, les joues brûlantes.... la fièvre. Génial.
Arrivée dans ma salle de fabrique, j'ai double boulot : laver tout le matériel des reblochons, démouler les tommes, laver les moules, la table, tout ça, et tout remettre en place.
Je me traine, je suis vraiment ralentie, je dois forcer sur les bras et le dos pour ramasser, soulever... ça me fait des éclairs de douleur dans les reins, sous les omoplates, dans les avant bras...
Bon, certes, les pogos du concert des Ramoneurs de Menhirs, samedi soir, ne sont pas étrangers à cet état. Mais quand même.
16h45, je finis de remplir le dernier bac quand madame la SuperPatronne arrive pour prendre du lait.
Elle me jauge de la tête au pieds, lâche un vague bonjour, et me crache que là, j'ai largement le temps de laver les planches à reblochons (au karcher).
Certes, j'allais le faire. Et elle est pas obligée de me dire ça comme ça.
Là, faut quand même que j'explique : cette SuperPatronne m'aime pas.
Dès les premiers jours, quand je la croisais et la saluais, elle me regardait pas, ou de travers, et me répondait pas.
Ensuite, deux ou trois fois, elle était souriante, "copine", etc... et recommençait à me débiner, voire m'agresser.
Puis, rebelote, toute gentille.
Mais toujours une vieille animosité en fond.
Elle est allée jusqu'à me débiner devant une stagiaire !
Elle est hypocrite, et lunatique.
C'est sûr, SuperPatronne, elle fait tout super vite, super bien, et tout. Mais elle, elle a grandi sur une ferme du pays du reblochon, donc elle sait faire depuis toujours.
Moi j'ai appris sur le tas, ce qu'on a bien voulu m'apprendre.
Donc, des conneries, j'en fais, je suis pas toujours super rapide ni organisée, mais MERDE !
Donc, je sors, avec mon karcher, pour laver ces putains de planches : deux chariots de 36 planches, deux faces sur chaque planche, je mets 20 à 25 minutes par chariot.
Presque à la fin du premier, il restait une face, d'une seule rangée (12 planches), quand la patronne arrive et m'agresse à nouveau.
Y'a plus de vaches dans l'aire d'attente, faut aller emprésurer.
Je réponds rien, mais je rumine...
Je perds du temps à recharger la bouteille de présure, le lait est trop froid, il faut le réchauffer.
J'allume le gaz sous la cuve, chope le cricri (allume gaz de base pas récent), me contorsionne pour mettre le feu.
Ca fait un tuyau tout percé qui fait le tour du cul de la cuve. mais vu qu'elle a un habillage inox, faut passer le bras SOUS la jupe, remonter, trouver le serpentin à tâtons avec le bout du machin, et "criter" jusqu'à ce que ça fasse "wouf".
Se relever, aller tourner le bouton du brasseur pour que le lait soit remué plus vite (qu'il ne "cuise" pas en un seul endroit), tourner le bouton de la ventilation pour évacuer les fumées.
Manque de bol, le deuxième bouton est un peu dur, et des fois il saute s'il est pas enclenché à fond. Ce qui s'est manifestement passé.
Je lave la jauge, calcule la quantité de présure, vais doser, reviens à mon thermomètre... la température ne bouge plus. Bizarre. Plus de gaz ?
Je m'agenouille, regarde sous le bordel, ben y'a plus de flammes. Ca sent pas le gaz...
J'attrape le cricri après m'être essuyé les mains sur mon jean (même avec des gants, si y'a un tout petit chouïa d'humidité, je prends une décharge), un genou en terre, je crite une fois, deux fois, trois fois, cinq fois... A la sixième, WOUFFF !!!
D'énormes flammes bleues et jaunes qui viennent lécher le bord supérieur de la cuve, un souffle d'air brûlant me repousse, ouvre les deux portes de la salle...
Bon, ben... heu... je coupe tout, lance l'aération, laisse les portes ouvertes, puis je recommence. Ce coup ci, ça prend et ça chauffe.
Je file dans les wc, où y'a un miroir : j'ai tout le bas du visage qui a roussi, les deux avant-bras, la gorge, et les cils qui ont brûlé de moitié. C'est rigolo, ils sont roux-jaunes et frisés...
Quelques cheveux autour du visage, rien de bien méchant.
Bon, ben.... j'ai encore eu du bol...
Température ok, j'emprésure, lance le brasseur à l'envers pour stopper le mouvement du lait.
Ca frappe à la fenêtre, et meeeerde, SuperPatronne qui demande depuis combien de temps j'ai "encaillé".
Juste à l'instant...
Je me fais pourrir, gnagnagna, ça fait dix minutes, gnagnagna, elle me balance un vieux regard puant et se casse. Je leur ai pas dit, ni à elle, ni aux autres, que je me suis pris un retour de flamme. Ils m'emmerdent. Surtout elle en fait.
Je retourne à mes planches.
Je me pose cinq minutes pour boulotter trois chocos avant de prendre mon antibio, retourne en fabrique où le patron est déjà au boulot : c'est décaillé, ça tourne et ça chauffe, c'est parti pour trois degrés et 20 minutes de plus !
La SuperPatronne arrive quand on a vidé la cuve et commençons à mouler.
Elle est infecte, discute avec son mari (je m'en fous, je les écoute jamais) mais à voix tellement basse qu'il est obligé de la faire répéter deux ou trois fois.
Finalement, on en vient à bout, je lave la cuve, mes toiles... je les laisse se démerder pour les fromages.
ENFIN je pars !!!
Je suis emmerdée tout du long par un con qui se traine à 40 ou 40 sur la petite route, puis à 70 ou 80 sur la nationale limitée à 90, ça a le don de me gaver !
Le respect de base, c'est de pas gêner les autres usager, donc de respecter les limites, dans un sens comme dans l'autre !
ENFIN j'arrive au boulot du Viking, qui sort juste. On rentre, on se prend la tête pour des conneries, on est claqués l'un et l'autre.
Je suis fatiguée, cassée, j'ai mal partout, et j'arrive même pas à pleurer.
J'ai l'impression que ma dernière crise de larmes date de looooongtemps... Ca fait du bien des fois... Mais la tension reste, impossible à évacuer. En plus, j'ai les yeux qui brûlent.
Demain, si elle est pas plus aimable, j'appelle Grand Manitou et lui dis que j'en ai plein le cul. Si elle me pourrit dès le matin, je remballe mes affaires, et je dis au chef que je vais pas retourner servir de punching ball pour Mâdâme. Il comprend très bien.
Les gens lunatiques, ça me gonfle, quand on est pas fichu de se dominer un minimum, on sort pas de chez soi.
Les hypocrites en plus, qui se font gentils par intérêt, me donnent des pulsions violente. L'envie de leur karcheriser la gueule par exemple...
J'en ai encore pour un mois et demi à tirer, ça va être long...
Faut pas croire, Grand Manitou, il en "souffre" de nous envoyer chez des gens qu'on aime pas ou qui sont cons.
Il connait les réputations, nous, les vachers, on hésite pas à lui dire comment ça se passe, quand ça va pas, (bien sûr, quand ça va on le dit aussi), et pourquoi.
Il a eu des problèmes déjà avec ces agriculteurs. Des prises de bec violentes.
Donc si je tape du poing sur la table, il leur trouvera un bobard, qu'il y a eu un accident ou autre ailleurs, que je suis réquisitionnée. Et bien fait.
Ca a aussi ses avantages, vacher : on n'est jamais démuni face au harcèlement...